GAUGUIN Paul (1848-1903)­

 

AUTOPORTRAITS

Planche: 1875-77, 1885 (au chevalet),  1893 (au chapeau), 1890-93 (ˆ l'idole tahitienne), 1893-94 (ˆ la palette), 1896 (ˆ l'ami Daniel), 1896 (prs du Golgotha), 1902-03

L'Autoportrait au chapeau  Le corps est dirigé vers la droite symbolisant le temps futur alors que son visage paraît regarder son passé, ici représenté par les objets rapportés de Tahiti (tableau de Manao Tupapau et paréo). La poutre jaune, en évidence et dans la lumière, sépare le tableau en deux. A gauche du peintre, on trouve le passé marqué par des événements, des objets. A sa droite, il s'agit d'un espace (triangle vert) rendu impalpable puisqu'il ne peut prévoir les prochains événements de sa vie. Cette poutre dessine une arrête radicale entre passé et présent-futur. Ë sa gauche, on note la présence d'une nappe bleue à motifs floraux recouvrant la table : c'est en réalité un paréo. Au troisième plan nous retrouvons Manao Tupapau: tableau emblématique qui est le portrait de son amante à Tahiti.

 

- 1848
7 juin: Naissance à Paris d'Eugène Henri Paul Gauguin, deuxième enfant de Clovis Gauguin, journaliste au National et d'Aline Chazal, fille de Flora Tristan, femme de lettres, militante socialiste  et féministe française, qui fut l'une des figures majeures du débat social dans les années 1840 et participa aux premiers pas de l'internationalisme. Elle est  la fille d'un noble péruvien, Mariano de Tristàn y Moscoso, et d'une petite bourgeoise parisienne émigrée en Espagne, pendant la Révolution française, Thérèse Laisné. Ses parents sont mariés en Espagne par un prêtre réfractaire, mais son père, de retour en France, ne prend jamais le temps de régulariser son mariage. Il meurt peu après leur retour à Paris; et ce coup du sort affecte l'existence de la jeune fille. Les origines et les destins de sa famille expliquent en grande partie la démarche future de Gauguin. Son père est journaliste politique, et sera contraint d'émigrer avec sa famille.

Portrait de Flora Tristan (1803-1844-morte de la fièvre typhoïde)

- 1849
août: La famille s'embarque pour le Pérou. Le père de Gauguin meurt pendant la traversée. Aline et ses deux enfants séjournent à Lima chez un grand-oncle, pendant cinq ans. Lorsqu'ils partent pour le Pérou , Paul n'a qu'un an. Là-bas, après le décès subit de son père, sa mère est recueillie par sa "famille" péruvienne, riche et puissante: Gauguin mène à Lima une vie dorée. Quand il regagne la France en 1855, il a sept ans et restera à jamais marqué par cette enfance au Pérou dont il garde une image paradisiaque teintée d'exotisme.

- fin 1854-début 1855 Retour en France et installation à Orléans où Paul poursuit sa scolarité.

- 1864 décembre: Il s'engage comme pilotin (élève officier) dans la marine marchande

- 1868-1871 Il effectue son service militaire dans la marine.

 

1871-1886 DEBUTS

- 1872 Il entre comme employé chez l'agent de change Paul Bertin. Il peint pendant sesloisirs.

- 1873, 22 novembre: Il épouse Mette Gad, une jeune Danoise. De cette union naissent cinq enfants: Emil (1874), Aline (1877), Clovis (1879), Jean-René (1881), Paul RoIlon (1883).

Gauguin aime l'art : il frŽquente les galeries proches de la Bourse, y achte des tableaux; pendant ses loisirs, il pratique la peinture en amateur. Ses toiles sont alors influencŽes par les paysagistes romantiques et ceux de l'Žcole de Barbizon. Son tuteur, Gustave Arosa, collectionneur de tableaux modernes, l'initie ˆ l'art de ses contemporains. Par son intermŽdiaire, il rencontre Pissarro, l'une des figures importantes du mouvement impressionniste, ˆ qui il montre ses toiles. Ce dernier l'encourage ˆ travailler en plein air et ˆ adopter les principes des "croqueurs de verts": travail rapide en petites touches morcelŽes, couleurs claires, abandon des rgles acadŽmiques de perspective et de modelŽ. Aprs ses affaires ˆ la Bourse, Gauguin rejoint ses amis au cafŽ de la Nouvelle-Athnes et participe aux discussions sur la nouvelle peinture.

- 1876 mai-juin: 11 expose pour la première fois au Salon Un sous-bois ˆ Viroflay.

1873  Chemin forestier

1876  Nature morte aux hu”tres

Peintre du dimanche, Gauguin peint jusqu'en 1878 des natures mortes traditionnelles et des paysages ˆ la Corot.

- 1877 Bouillot l'initie à la sculpture.

- 1879 Il participe à la quatrième exposition impressionniste, invité à la dernière minute par Pissarro et Degas. Il expose avec le groupe en 1880, 1881, 1882, 1886. Il fréquente le café de la Nouvelle-Athènes.

- 1879 été: Premier séjour chez Pissarro à Pontoise.

- 1881 16 mars: Premiers achats du marchand Durand-Ruel.

1878  Portrait de Mette

Palette claire, luminositŽ d'influence impressionniste.

1880, Etude de nu ou Suzanne cousant

Exception dans l'oeuvre du moment, une des rares toiles d'inspiration naturaliste. Le fond est meublŽ de l'attirail classique du rapin: tissu algŽrien et banjo.

1881  IntŽrieur du peintre rue Carcel

1881  La famille du peintre au jardin rue Carcel

1882  Le sculpteur AubŽ et son fils,

Ces deux oeuvres sont inspirŽes par les pastels contemporains de Degas dans le dŽcoupage surprenant dont ce dernier a tirŽ des effets spectaculaires, peut-tre sous influence japonaise. Degas est alors son premier et restera son plus fidle dŽfenseur.

Planche-Paysages: CŽzanne, Ferme ˆ Auvers, Gauguin, Maisons de ferme, 1880

Planche-Nature morte: CŽzanne, Pommes et serviette, 1880, Pommes et biscuits, Gauguin, Nature morte avec pches, 1889

CŽzanne se plaignit plus tard de ce que Gauguin lui avait "volŽ sa petite sensation pour la promener sous les Tropiques." En effet, dans les portraits et les natures mortes surtout, Gauguin utilise la marque de CŽzanne, ainsi dans les teintes et le bouquet de la Nature morte ˆ la mandoline de 1885, et dans le papier peint du fond de La belle Angle, en 1888.

1885  Nature morte ˆ la mandoline  

- 1883 A la suite du krach boursier de 1882, Gauguin  perd son emploi et décide de se consacrer entièrement à la peinture. Année décisive. Alors commence une vie errante. Sa femme, désormais sans ressources sûres, rentre au Danemark. Et lui, à la recherche d'un monde vierge de toute civilisation, entreprend la longue marche qui le mènera de la Bretagne à la Martinique, puis en Océanie. L'archaïsme breton, l'exotisme martiniquais, le passŽ mythique tahitien, fondent une recherche qui nie l'héritage occidental, et puise à de multiples sources : Egypte et Grèce antiques, Java, Pérou, Japon.

- 1884 janvier: Il s'installe à Rouen.

Novembre: Il rejoint sa femme rentrée à Copenhague.

1884  Portrait de Madame Gauguin en tenue de soirŽe

- 1885 juin: Il retourne à Paris avec son fils Clovis. Sa situation financière est catastrophique.

1885  La plage ˆ Dieppe

1885  Baigneuses, Dieppe.

A Dieppe, il peint quelques toiles, entre autres ce curieux tableau qui amorce une nouvelle direction: travail en aplats, composition en frise, fermetŽ dŽcorative.

 

1886-1890 PONT-AVEN, LE POULDU

Aux premiers jours de l'été 1886, Gauguin s'installe à Pont-Aven, un petit village du Finistère, fréquenté par quelques peintres, où il sera rejoint par ƒmile Bernard, Charles Laval et Paul Sérusier. Devenus ses disciples, ceux-ci constitueront le noyau de l'école de Pont-Aven. Séduit par le caractère rustique de la bourgade et par les paysages environnants, Gauguin accumule notes et croquis: paysans au travail, animaux, images d'un monde traditionnel et rassurant. A partir de ces études faites sur le vif, il compose en atelier des tableaux dont les sujets naturalistes et la facture en petites touches hachurées relèvent encore de l'esthétique impressionniste.

- 1886 juin: Il fréquente l'atelier du céramiste Chaplet.

CŽramiques

Puisqu'il fit jusqu'ˆ 160 cŽramiques, GAUGUIN est le premier ˆ remettre cette pratique ˆ l'honneur. Ce faisant, il jette un violent coup de pied dans la fourmilire de l'acadŽmisme qui rŽgnait, ™ combien, chez les cŽramistes. L'artiste ne doit pas se contenter de faire un Žnime "dŽcor" sur un vase ou une assiette, ou de transposer simplement un dessin ou une peinture qui s'y prte. Il doit revoir la forme, la faonner, faire oeuvre de sculpture en quelque sorte. GAUGUIN avait eu la prŽmonition d'une nŽcessaire collaboration entre artistes et artisans : "Puisqu'ils veulent faire du beau et du moderne, qu'ils le fassent compltement et qu'en dehors du beau c™tŽ de la couleur qu'ils obtiennent, ils apportent des formes de vases autres que des formes mŽcaniques connues. Qu'ils s'associent avec un artiste."

- 1886 juillet-octobre: Premier séjour en Bretagne: Pont-Aven et probablement Le Pouldu.

1886  Bergre bretonne

1886  Danse des quatre bretonnes

L'oeuvre dŽveloppe sur un mode dŽcoratif le thme des Baigneuses de Dieppe. Les collerettes et les coiffes rythment la composition.

1886  Nature morte au profil de Laval

Cette toile et la Danse des 4 bretonnes tŽmoignent de la nouvelle direction de son travail. Le dŽcoupage curieux annonce Bonnard dans le profil qui surgit dans le cadre du tableau. Parti pris japonisant surprenant, le reste de la composition traitant l'espace de faon cŽzanienne. Autre nouveautŽ: au centre, l'objet exotique, poterie de son cru qui manifeste une volontŽ primitiviste.

L'aventure martiniquaise Juin-novembre 1887

- 1887 10 avril: Départ avec Charles Laval pour Panama qu'il quitte à la mi-mai pour la Martinique où il reste jusqu'au mois d'octobre.

Décembre: Theo van Gogh présente pour la première fois des oeuvres de Gauguin à la Galerie Boussod et Valadon, dont il est le gérant.

DŽcouragŽ par d'incessantes difficultŽs matŽrielles et ˆ la recherche d'un lieu o travailler ˆ l'abri des soucis financiers, Gauguin part pour Panama, en compagnie de Laval. Aprs bien des mŽsaventures, les deux artistes trouveront refuge ˆ la Martinique, o, stimulŽs par les paysages idylliques, ils travaillent avec un nouvel enthousiasme. La palette de Gauguin se modifie: ses bleus se font plus soutenus, ses rouges plus chauds, ses verts s'enrichissent d'une multitude de nuances pour dŽcrire les vŽgŽtaux.

1887  La mare

Reprend un thme  hŽritŽ de Pissarro et souvent traitŽ en 1885-86, dans des harmonies sombres et une facture Žpaisse, qui, ici, cdent la place ˆ une palette chaude de roses, mauves et orangŽs contrastant avec des verts sombres. La touche large au 1r plan s'amenuise en fines hachures parallles dans les feuillages, texture caractŽristique des toiles Martiniquaises.

1887  Bord de mer (les 2 versions)

Gauguin est fasciné par les paysages, et aussi par l'attitude des femmes (les porteuses) qui assuraient tous les jours le transport, dans de grands paniers posés sur leur tête, de l'intérieur de l'”le à la c™te. "Ce qui me sourit le plus, ce sont ces figures, et chaque jour c'est un va-et-vient de négresses accoutrées d'oripeaux de couleur avec des mouvements gracieux à l'infini... Leurs gestes sont très particuliers et les mains jouent un grand rôle en harmonie avec le balancement des hanches..." (à Schuffenecker). Il en tire une procession hiératique de figures dans un paysage très stylisé avec un rideau de raisiniers, comme Hokusai l'avait fait dans le mont Fuji vu de Hodoyaga (36 vues du mont Fuji). Ordonnance dŽcorative et traitement en touches franches sont en rupture avec l'impressionnisme.

1887  Allers et venues

1887  Conversation

1887  La cueillette des fruits

1887  VŽgŽtation tropicale

Format exceptionnel et chatoiement des couleurs font considérer l'oeuvre comme un chef-d'oeuvre de la période. Vue de la baie de Saint-Pierre avec au fond la montagne Pelée (qui détruira la ville en 1902). Occultant toute trace de la ville, Gauguin fait apparaître une paysage pur, Eden vierge de civilisation. L'arbre de gauche découpé sur le ciel contraste avec les masses des feuillages traités en subtile gamme de verts et d'orangés. Dans la partie centrale, Gauguin juxtapose de fine touches qui confèrent à la toile une texture très travaillée.

Bretagne 1888

- 1888 fin janvier-début février: Départ pour un nouveau séjour à Pont-Aven en compagnie d'Emile Bernard, Charles Laval, Paul Sérusier.

Lorsqu'il revient en France, les sujets naturalistes font progressivement place à des visions plus poétiques. Les estampes japonaises l'aident à trouver de nouvelles formules plastiques pour échapper au réalisme. La lumière, émanant seulement de la couleur, élimine les ombres et le modelé. Venu tard à la peinture, Gauguin y gagne d'avoir déjà un jugement sur ses contemporains. DÕemblée, il prend ses distances avec eux. Il fonde les théories d'un art de synthse : la forme doit être simplifiée, la couleur appliquée en aplats cernés d'une arabesque décorative, le réalisme  photographique doit disparaître au profit d'une recherche spirituelle. "Un conseil, ne peignez pas trop d'après nature. L'art est une abstraction, tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qui résultera, c'est le seul moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre divin mî”tre, créer."

Paul GAUGUIN, lettre à Claude-Emile SCHUFFENECKER, 1888

Sa maturité et ses théories lui gagnent l'admiration de jeunes peintres de quelque vingt ans ses cadets, dont Emile Bernard, Charles Laval, Paul Sérusier. Leurs échanges permettent à Gauguin d'approfondir ses recherches dans la voie d'une peinture dégagée de la représentation. éminemment symbolique.

1888  Premires fleurs

Peint à Pont-Aven printemps 1888. Fraîcheur particulière due au naturel et à un traitement impressionniste poussé à l'extrême. Il semble que l'artiste explore la touche divisée dans un contexte d'inspiration idyllique. Degas fut enthousiaste, et Gauguin, avisé par Théo, écrit à Emile Bernard: "c'est pour moi la plus grande flatterie: j'ai la plus grande confiance dans le jugement de Degas."

1888  Petit berger breton

Titre de Gauguin: Paysage, côteaux, avec garçon en blouse bleue. Encore trs proche de Pissarro, donc ˆ dater du tout dŽbut 1888, avant les bouleversements stylistiques de l'ŽtŽ.

1888  Paysage breton avec cochons

Comme souvent, le paysage a dž tre peint sur nature, la vache et le personnage en atelier d'aprs des croquis antŽrieurs.Les cochons sont favoris dans son bestiaire, et on les retrouvera souvent dans ses oeuvres. La toile est moment d'Žquilibre entre une vision pittoresque et banale et les inventions ˆ venir, perceptibles dans la manire dont sont peints le bosquet fleuri de gauche, les cochons dorŽs, la rivire d'un jaune arbitraire, et le triangle vert acide du centre.

1888  Le sabotier

1888  La vague

1888  Planche: Au-dessus du gouffre et Hokusai, Cascade de Kirifuri au mont Kurokami

Perspective plongeante au cadrage inspirŽ par l'art japonais. Le lieu est bien rŽel, mais en aplatissant la distance et la profondeur, en mettant la vache sur le mme plan que la barque, Gauguin crŽe plastiquement un sentiment de vertige. La couleur forcŽe aux limites de l'arbitraire, les masses imbriquŽes comme dans un puzzle, prŽfigurent l'esthŽtique simplifiŽe des nabis et les entrelacs de l'art nouveau. Notons que le titre donnŽ par l'artiste Žtait simplement Marine avec vache, et qu'il a ŽtŽ dramatisŽ (c'est souvent le cas pour Gauguin) lors de sa vente en fŽvrier 1891.

1888  Planche: Joueur de flageolet sur la falaise et Hokusai, La Cascade de Yoshino

1888  Planche: La vision aprs le sermon, ou la lutte de Jacob avec l'ange, Hokusai, Manga

"Je viens de faire un tableau religieux trs mal fait mais qui m'a intŽressŽ ˆ faire et qui me pla”t. Je voulais le donner ˆ l'Žglise de Pont-Aven. Naturellement on n'en veut pas.

Des Bretonnes groupŽes prient, costumes noirs trs intenses. Les bonnets blancs jaunes trs lumineux. Les deux bonnets ˆ droite sont comme des casques monstrueux. Un pommier traverse la toile, violet sombre, et le feuillage dessinŽ par masses comme des nuages vert Žmeraude avec les interstices jaune vert du soleil. Le terrain vermillon pur.

L'ange est habillŽ de bleu outre-mer et Jacob vert bouteille. Les ailes de l'Ange jaune de chrome 1 pur. Les cheveux de l'Ange chrome 2 et les pieds chair orange. Je crois avoir atteint dans les figures une grande simplicitŽ rustique et superstitieuse. Le tout trs sŽvre. Pour moi, dans ce tableau, le paysage et la lutte n'existent que dans l'imagination des gens en prire, par suite du sermon. C'est pourquoi il y a contraste entre les gens nature et la lutte dans son paysage non nature et disproportionnŽ."

Paul GAUGUIN, lettre ˆ Vincent VAN GOGH, Pont-Aven, 27 septembre 1888

1888  Planche: Enfants luttant + Hokusai, Manga, Lutteurs + Puvis de Chavannes, Doux pays

"ce dernier est une lutte de deux gamins prs de la rivire, tout ˆ fait japonais, par un sauvage du PŽrou" (ˆ Schuffenecker)

1888  Planche: Les trois chiots et Chats d'Hokusai

1888  Fte Gloanec

AchetŽ par Maurice Denis ˆ Marie-Jeanne Gloanec ˆ qui Gauguin en avait fait cadeau. Gauguin part d'ŽlŽments rŽels (soucis oranges, bleuet, emballage de papier blanc, fruits et g‰teau breton) posŽs sur le guŽridon de la pension Gloanec.Mais la vue plongeante hŽritŽe de Degas et des japonais, le rouge arbitraire, crŽent un espace imaginaire et en font bien le prŽcurseur de "la surface plane aux couleurs en un certain ordre assemblŽes".

SŽrusier, Paysage au Bois d'Amour (Le talisman), ŽtŽ 1888

Elve et massier de l'AcadŽmie Julian, SŽrusier Žcoute les conseils de Gauguin et rapporte ˆ la rentrŽe ˆ ses camarades le tableau qui exercera une influence dŽcisive sur les futurs Nabis: " C'est à la rentrée de 1888 que le nom de Gauguin nous fut révélé par Sérusier, retour de Pont-Aven, qui nous exhiba, non sans mystère, un couvercle de bo”te à cigares sur quoi on distinguait un paysage informe à force d'être synthétiquement formulé, en violet, vermillon, vert Véronèse et autres couleurs pures, telles qu'elles sortent du tube, presque sans mélange de blanc.. "Comment voyez-vous cet arbre, avait dit Gauguin devant un coin du bois d'amour: il est bien vert? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette; et cette ombre, plutôt bleue? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible." Ainsi nous fut présenté, pour la première fois, sous une forme paradoxale, inoubliable, le fertile concept de "la surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées". Ainsi nous connûmes que toute oeuvre d'art était une transposition, une caricature, l'équivalent passionné d'une sensation reçue." (récit de Maurice Denis).

Arles. Automne 1888

- 1888 octobre-décembre: Il habite avec Vincent van Gogh à Arles.

Théo Van Gogh sera le premier à exposer les Ïuvres martiniquaises et bretonnes de Gauguin. Vincent et Gauguin se rencontrent à plusieurs reprises, entretiennent une correspondance suivie. Gauguin rejoint Van Gogh dans le Midi, où ils vont travailler sur les mêmes motifs: un café la nuit, le cimetière des Alyscamps, des jardins publics. Mais la cohabitation s'avère difficile, Gauguin supportant mal le tempérament exalté et romantique de son compagnon. Ë l'issue d'une ultime dispute, la veille de Noël 1888, Van Gogh menace Gauguin, puis se tranche l'oreille avec un rasoir.

1888, Van Gogh peignant les tournesols

Vincent "pataugeait considŽrablement, et avec tous ses jaunes et ses violets, tout son travail de complŽmentaires, travail dŽsordonnŽ de sa part, il n'arrivait qu'ˆ de douces harmonies incompltes et monotones; le son du clairon y manquait". Gauguin entreprend donc de l'Žclairer et le voilˆ donc peignant des tournesols, Žtudes de jaunes et d'ocres sur jaunes, donc de couleurs voisines et non complŽmentaires. Notons que, de fait, les tournesols ont ŽtŽ peints avant l'arrivŽe de Gauguin: mais celui-ci est persuadŽ de son utilitŽ, avec mauvaise foi ou excessif contentement de soi.

1888  Planche: Dans le jardin de l'hôpital d'Arles, Van Gogh, Rencontre dans un jardin

Vincent tâche de suivre les conseils de Gauguin et s'essaie à peindre d'après non la nature, mais un souvenir. D'où cette Rencontre qui accuse plus les différences que les ressemblances, celui de Van Gogh étant aussi matériel et emp‰té que celui de Gauguin est décoratif, et en aplats. Les étranges arbres triangulaires rythment l'espace et se découpent sur un jardin cloisonné en avant duquel s'imposent les théâtrales figures d'arlésiennes.

1888  Planche: CafŽ ˆ Arles (Mme Ginoux), Van Gogh, L'arlŽsienne

Hommage inconscient ˆ Van Gogh, le cafŽ reprŽsente trois de ses modles: Mme Ginoux, le zouave et le facteur Roulin. L'oeuvre est faite en atelier d'aprs des croquis pris pendant que Van Gogh peignait L'arlŽsienne. Le premier plan, le billard et les fumŽes rappellent la conception descriptive de Van Gogh: "J'ai fait un cafŽ que Vincent aime beaucoup et que j'aime moins. Au fond, ce n'est pas mon affaire, et la couleur locale, canaille, ne me va pas. Je l'aime bien chez les autres, mais j'ai toujours de l'apprŽhension." (ˆ Emile Bernard)

1888  Planche: Madame Roulin

1888  Planche: Les Alyscamps, Gauguin et Van Gogh

1888  Planche: Ferme ˆ Arles, Meules en Provence (Van Gogh)

Solide structure de la meule au centre d'un paysage ˆ la construction gŽomŽtrique. La touche dŽrive plus de CŽzanne que de Van Gogh. Ce que confirment les Meules de ce dernier auxquelles une touche vibrante confre une  prŽsence impressionnante(cf. l'importance pour Van Gogh de l'influence de Millet)

1888, Vendanges ˆ Arles ou les misres humaines

Influence de Van Gogh dans la p‰te appliquŽe au couteau et l'expressionnisme de la figure du premier plan.

1888, Les arbres bleus

Francs contrastes de jaune-bleu, vermillon-vert, schŽma dŽcoratif fondŽ sur l'opposition rythmique des verticales et une ligne d'horizon trs haute. L'Žtagement des plans est renforcŽ par la nette dŽlimitation de zones de couleur cernŽes de bleu au premier plan et le ciel qui fait contraste avec l'arrire-plan.

Bretagne 1889-90

- 1889 février: Participe à l'exposition des XX à Bruxelles.

Mi-fŽvrier/mi-avril: SŽjour ˆ Pont-Aven.

Juin-octobre: Organise et participe à l'Exposition du groupe impressionniste et synthétiste au café des arts, chez Volpini, dans l'Exposition Universelle. L'Ecole de Pont-Aven voit officiellement le jour. Echec retentissant ! Mais Gauguin a désormais une audience: comme il l'écrira plus tard à Monfreid, il a voulu "établir le droit de tout oser" et sait que les artistes futurs lui en seront redevables.

- 1889 (juin)-1890 (février) Il travaille à Pont-Aven et au Pouldu où il décore la salle à manger de l'auberge de Marie Henry (mi-novembre/mi-décembre).

Janvier 1889, La famille Schuffenecker

Un des rares tableaux peints ˆ Paris en 1889 o il se consacre surtout ˆ la poterie. Portrait de groupe, genre nouveau pour lui, qui associe rŽalisme du paysage et du portrait et arbitraire de la couleur. La froideur de l'hiver explique le manteau et le fichu de Mme Schuffenecker, ainsi que le pole. HŽbergŽ par le couple, chez qui il se comporte avec sans-gne, Gauguin se venge peut-tre de son h™tesse qu'il dŽcrivait comme une harpie et un crampon: image revche, amre et triste, ˆ la main gigantisŽe qui symbolise une puissance malŽfique. En contraste, le mari petit et en pantoufles, regarde sa femme humblement, devant un chevalet dont le tableau est invisible: niŽ comme peintre, ridiculisŽ comme mari, anŽanti comme ami. Selon des tŽmoins, Gauguin a toujours ŽtŽ trs dur avec Schuffenecker, avec une totale inconscience quant au r™le essentiel que celui-ci avait jouŽ pour lui: en lui montrant la voie quand ils se rencontrent chez Bertin, puis en l'aidant matŽriellement tout au long de sa vie.

1889, Nature morte ˆ l'estampe japonaise

L'harmonie chaude et Žclatante de ce tableau et du suivant se fait sur des accords difficiles de jaune et de rose que l'on retrouve dans les plus grandes oeuvres de Gauguin. Avec le narcissisme inquiet qui le caractŽrise, il se reprŽsente sous la forme de cette cŽramique autoportrait (conservŽe au musŽe de Copenhague)

1889, Nature morte au jambon

L'espace est l'un des plus simples et des plus construits de l'oeuvre. Opposition des bandes verticales du fond et des formes concentriques de la table, du plat et du jambon. Notons que le papier jaune du fond n'est pas traitŽ en aplat, mais en modulations cŽzaniennes.

1889, Le christ jaune

Un exemple essentiel du synthŽtisme et du primitivisme breton de l'artiste. InspirŽ ˆ Gauguin par le Christ en bois polychrome du XVIIe sicle de la petite chapelle de TrŽmalo proche de Pont-Aven. Filiation trs nette avec le Sermon de l'annŽe prŽcŽdente:  coiffe au premier plan, bretonnes agenouillŽes ˆ l'arrire-plan gauche, mme ambigu•tŽ entre le monde rŽel et le monde imaginaire unis par la croix dressŽe sur un Golgotha gris‰tre.

1889, La belle Angle

Marie-Angélique Satre, hôtelière à Pont-Aven, passait pour une des plus belles femmes du pays. Vers 1920, elle relate les circonstances dans lesquelles ce portrait fut réalisé : "Gauguin était bien doux et bien misérable [É]. Il disait toujours à mon mari qu'il voulait faire mon portrait, si bien qu'un jour, il l'a commencé. [É] Mais quand il me l'a montré, je lui ai dit "Quelle horreur !" et qu'il pouvait bien le remporter [É]. Gauguin était très triste et il disait, tout désappointé, qu'il n'avait jamais réussi un portrait aussi bien que celui-là". Le refus de La vision... par l'Žglise ˆ laquelle il la destinait, celui de La belle Angle par son modèle, illustrent l'incompréhension qui entoure alors le peintre, pourtant très content de son portrait. Etape importante dans l'élaboration du cloisonnisme et de la synthèse, préoccupation alors de Gauguin. Le découpage du cercle sur le fond est un procédé fréquent des japonais (en usage aussi chez les illustrateurs, et utilisée sur le papier à en-tête d'un hôtel proche, la Villa Julia). Le fond n'est que dŽcoratif, la cŽramique d'inspiration pŽruvienne renforce le caractre symbolique de la composition: pose rigide, expression figŽe et costume de fte ont un caractre emblŽmatique que souligne l'inscription en capitales. Jamais n'a ŽtŽ autant affirmŽ l'aspect dŽcoratif, et la dissociation figure/fond. Le tableau sera achetŽ par Degas en 1891.

1889, fin de l'ŽtŽ, Christ au jardin des oliviers (autoportrait)

Fin de l'été 1889, Gauguin se représente en artiste maudit et martyr, en se représentant comme le Christ au jardin des oliviers, solitaire et accablé après la trahison: "cela veut représenter l'écrasement d'un idéal, une douleur aussi divine qu'humaine, Jésus abandonné de tous, ses disciples le quittant, un cadre aussi triste que son âme" (au journaliste Jules Huret). Gauguin est très satisfait de ce tableau dont il parle longuement à Van Gogh. C'est l'un des premiers qui soit aussi détaché de la réalité: le paysage n'est pas breton, les oliviers sont emblématiques, les cheveux et la barbe rouge sont vus parfois comme la transposition de la souffrance du Christ.

Fin 1889 Planche: style dŽcoratif et symboliste: Autoportrait au nimbe, Jeanne d'arc, Femme cara•be

Il travaille beaucoup, et son style devient de plus en plus graphique et dŽcoratif, presque caricatural: Autoportrait en saint aurŽolŽ et goguenard, avec pour emblmes deux pommes, pŽchŽ originel et allusion sexuelle, avec dans les doigts un entrelacs modern style achevŽ par un serpent (ou un cygne?); Jeanne d'Arc peinte sur le mur de l'auberge du Pouldu, bretonne maigrichonne aux gros pieds, avec au fond des thoniers japonisants, trs proche de forme et de position de la Femme cara•be aux mains empruntŽes aux danseuses javanaises rencontrŽes lors de l'exposition universelle.

1889  Planche: Bonjour Mr Gauguin (2 versions), Courbet, Bonjour Monsieur Courbet

Evoque la visite que Gauguin et Van Gogh avaient faite ensemble au musŽe de Montpellier. Mais le bonjour ˆ Gauguin est le contraire du cŽrŽmonial que Courbet avait donnŽ ˆ son tableau. Il est celui d'une paysanne, simple et rapide, et le chien, prŽsent lui aussi, est tout petit et proche de l'artiste. Deux versions: l'une plus modeste dŽcorait le panneau supŽrieur d'une porte de l'auberge de Marie Henry au Pouldu (coll. Part.), sans doute prŽalable au tableau de Prague, plus important et plus abouti.

L'Žcole de Pont-aven: l'influence de Gauguin

Planche: Gauguin, Bonjour Monsieur Gauguin, Paul SŽrusier, La barrire fleurie

Planche: Gauguin, Moisson en Bretagne, Emile Bernard, Le gaulage des pommes

- 1890 début juin-novembre: Nouveau séjour au Pouldu avec Meyer de Haan. Il achève la décoration de l'auberge avec Sérusier et Filiger, pendant l'été.

Novembre: De retour à Paris, il fréquente les cercles symbolistes.

1890, Le champ de pommes de terre

Fait partie d'une sŽrie de paysages exŽcutŽs par Gauguin lors de son sŽjour au Pouldu dans l'auberge de Marie Henry. Tous ces paysages se caractŽrisent par une conception rythmique de l'espace organisŽ en Žtagement de plans. C'est particulirement le cas ici o le premier plan en frise dŽcorative o disparaissent quasiment la paysanne et les vaches fait Žcran ˆ une succession de bandes horizontales de factures diffŽrenciŽes.

1890, Les champs au Pouldu

Bon exemple du style synthŽtiste appliquŽ au paysage en 1890.

Planche: 1890, Femme ˆ la nature morte de CŽzanne et  CŽzanne, Portrait de madame CŽzanne

Noter le traitement analogue de l'oeil. Le modèle est Marie Henry, la bonne aubergiste du Pouldu chez qui Gauguin vint s'installer avec ses disciples les plus fidèles: Seguin, Filiger, Meyer de Haan.

1889-90 ou 1890-91 Autoportrait au christ jaune

RŽalisŽ ˆ la veille de son premier dŽpart pour Tahiti, le Portrait de l'artiste au Christ jaune constitue un vŽritable manifeste. Il s'agit en rŽalitŽ d'un portrait au triple visage, dans lequel l'artiste rŽvle diffŽrentes facettes de sa personnalitŽ. Dans la figure centrale, le regard fixe que Gauguin adresse au spectateur exprime le poids de ses difficultŽs, mais Žgalement toute sa dŽtermination ˆ poursuivre son combat artistique.

Il reprŽsente derrire lui deux autres de ses oeuvres, rŽalisŽes l'annŽe prŽcŽdente, qui se confrontent d'un point de vue esthŽtique et symbolique. A gauche, Le Christ jaune, image de la souffrance sublimŽe, auquel Gauguin prte ses propres traits. Mais le bras Žtendu par le Christ au-dessus de la tte du peintre Žvoque Žgalement un geste protecteur. Le jaune de ce tableau s'oppose au rouge du Pot, autoportrait en forme de tte de grotesque, posŽ ˆ droite, sur une Žtagre. Ce pot anthropomorphe que Gauguin dŽcrivait lui-mme comme une "tte de Gauguin le sauvage" , avec son masque grimaant et sa facture primitive, incarne les souffrances et le caractre sauvage de la personnalitŽ de Gauguin.

 

1891-1893 PREMIER SEJOUR TAHITIEN

Gauguin, ˆ la suite de Van Gogh et de son atelier du Midi, a le projet de fonder l'atelier des tropiques. Mais en 1891, n'ayant pas rŽussi ˆ entra”ner ˆ sa suite ses amis peintres, il part seul pour Tahiti

- 1891, 23 février: Vente publique de ses oeuvres à l'hôtel Drouot pour financer son voyage à Tahiti.

Mars: Il rend visite à sa femme et à ses enfants à Copenhague.

26 mars:grâce à ses relations, il a obtenu une mission officielle du ministère de l'Education publique et des Beaux-Arts pour étudier et peindre les coutumes et les paysages de l'île.

l avril: Il s'embarque à Marseille et arrive à Papeete le 9 juin. Son allure et son comportement non conformistes le mettent rapidement au ban de la bourgeoisie coloniale.

Septembre-octobre: Il s'installe à Mataiea. un petit village à une quarantaine de kilomètres au sud de la capitale, en compagnie d'une jeune Tahitienne, Titi.

Il s'enthousiasme pour la beautŽ hiŽratique et sculpturale des tahitiens, l'expression mŽlancolique et rveuse de leur regard, et tente de retrouver chez ces tres simples la splendeur prŽservŽe et le mystre de la civilisation maorie. Il s'initie ˆ la langue, sans parvenir ˆ la parler correctement, comme en tŽmoignent les titres tahitiens incorrects qu'il donne ˆ ses toiles. Les tableaux de son premier sŽjour ˆ Tahiti reprŽsentent en majoritŽ des personnages isolŽs, enfermŽs dans leurs pensŽes, avec, en contrepoint, de luxuriantes natures mortes de fleurs et de fruits exotiques, mais aussi des compositions religieuses, mlant des ŽlŽments traditionnels catholiques et maoris. Pour ses compositions, le peintre s'inspire de reproductions d'Ïuvres d'art qu'il a emportŽes avec lui: photographies de bas-reliefs des temples de Borobudur ˆ Java, d'une frise Žgyptienne antique reprŽsentant un banquet, des sculptures du ParthŽnon. Plus sa peinture s'Žloigne du naturalisme, plus sa palette devient irrŽelle.

Fin de l'année (?): Il rencontre Teha'a-mana qui devient sa vahiné et son modèle.

1891-93  La vie et la mort (reprise de l'Eve bretonne et baigneuse)

1891  Rue de Tahiti

1891  Les cochons noirs

1891  Les fleurs franaises (te fiare farani)

"Toujours ce silence. Je comprends pourquoi ces individus peuvent passer des heures, des journŽes assis sans dire un mot, et regarder le ciel avec mŽlancolie" (lettre ˆ Mette). Gauguin trouve le moyen plastique de reprŽsenter ce mŽlange d'inertie et d'Žclat propre ˆ la nature tropicale en opposant aux visages lisses et sans expression l'Žclat de couleurs: ici les lauriers roses, dans Les bananes le jaune des fruits, dans les Femmes sur la plage l'association difficile du jaune et du rose, du mauve et du rouge. Les dŽcoupages dŽcoratifs et stylisŽs qu'il avait essayŽs en Bretagne s'affirment de plus en plus, aidŽs par le dessin simple des parŽos.

1891   Le repas ou les bananes

Nature morte organisŽe: pans de papier formant nappe, bananes rouges (les fei),qui ne se mangent que cuites, plat creux ici rempli d'eau, en principe utilisŽ pour la cuisson des poissons, goyave entamŽe, citrons en grappe. Ensemble essentiellement dŽcoratif, fortement ŽclairŽ, ˆ la diffŽrence des personnages laissŽs dans l'ombre et aux couleurs ternes qui semblent ne servir que de contrepoints. La frise dŽcorative au mur est une invention, qui atteste la permanence de la prŽoccupation dŽcorative de Gauguin. Le personnage du fond ˆ droite reste Žnigmatique.

1891-92 La sieste

Une des scnes de genre tahitiennes les plus convaincantes que Gauguin ait rŽalisŽes. Thme des travaux et loisirs domestiques dans les colonies. Le spectateur est ˆ la fois introduit dans la peinture par la clartŽ de l'espace pictural, et tenu ˆ distance par l'attitude et la position des personnages (eux-mmes isolŽs les uns par rapport aux autres), en particulier le dos du premier plan.

1891 Faaturuma (La boudeuse, mŽlancolique, ou Rverie)

Proche de Corot (?). A mi-chemin entre le portrait traditionnel et le style dŽcoratif qui va s'Žlaborer en PolynŽsie.

1891 Te faaturuma (la boudeuse)

AchetŽe par Degas aprs expo chez Durand-Ruel de 1893. Beaucoup de questions: quel est le sens de l'objet (cigare? Encens?) qui fume au premier plan? Quel est le modle? Teha'amana (ma”tresse de l'artiste)?  Quel est le lieu (pas la case de Gauguin)? Peut-tre est-ce le tableau que Gauguin appelait L'idole du foyer dans un inventaire: ce serait alors une allusion ˆ la position proche de celle d'un Bouddha.

1891  L'homme ˆ la hache

En mme temps, Gauguin cherche une formule dŽcorative plus abstraite, moins assujettie aux caractres extŽrieurs, et c'est aux estampes japonaises que renvoient les lignes tourbillonnantes de ce tableau et du suivant. "L'homme presque nu levait de ses deux bras une pesante hache laissant en haut son empreinte bleue sur le ciel argentŽ; en bas son incision sur l'arbre mort... sur le sol pourpre, de longues feuilles serpentines d'un jaune de mŽtal, tout un vocabulaire oriental - lettres d'une langue inconnue mystŽrieuse... Dans la pirogue, la femme rangeait quelques filets, et l'horizon de la mer bleue Žtait souvent interrompu par le vert de la crte des lames retombant sur les brisants du corail." (Noa Noa). La rŽfŽrence japonaise est cette fois celle de l'Žcriture, abstraction dŽcorative s'il en est.

1891  I raro te oviri, Sous les pandanus

1892   Matamoe, Paysage aux paons

Une des peintures les plus colorŽes de la pŽriode. Elle reprŽsente sans doute la case en bois d'hibiscus louŽe par Gauguin en 1891 ˆ Mataiea. Noter la prŽsence du bžcheron, repris de L'homme ˆ la hache, symbolique car Gauguin Žcrit dans Noa Noa qu'il s'est dŽbarrassŽ de sa mentalitŽ europŽenne pour pŽnŽtrer la mentalitŽ sauvage aprs avoir aidŽ ˆ abattre un arbre.

1892  Te poipoi (le matin) Le rituel du bain

1891-92-Personnages accroupis, reprises et sources

1892  Nafea Faaipoipo, Quand te maries-tu?

Avant tout jeu sur les couleurs complŽmentaires. Il semble que Gauguin ait ŽtŽ obsŽdŽ par le personnage accroupi, dont le point de dŽpart semble tre le personnage de droite des Femmes d'Alger de Delacroix. Le personnage reviendra dans plusieurs oeuvres ultŽrieures. Cf. ci-dessous.

Planche: Delacroix, Tahitienne aux cochons noirs, 1892,  Femme portant un fruit, 1893

Planche: 1891,  Sur la plage, 1892, Parau api (Nouvelles), 1892, La maison des chants

Planche: 1892, Aha oe feii (Quoi! Tu es jalouse), Nave nave moe (SacrŽ printemps), Borobudur

Aha oe feii est un des cinq tableaux de baigneuses qu'il entreprend l'été 1892. La pose du personnage assis aurait (Field) été inspirée par une photo de la frise du théâtre de Dionysos à Athènes. Noter aussi la ressemblance avec la frise de Borobudur, et que la permanence des personnages accroupis, outre qu'elle correspond sans doute à une réalité observée, peut avoir été au départ suggérée par le bouddhisme.

1892 Parahi te marae, Ici est le temple

Un japonisme de simplification et d'écriture se retrouve de façon frappante dans cette toile qu'une étrange barrière coupe en deux parties: premier plan de fleurs rouges et mauves, arrière-plan de colline jaune vif. Au fond, un temple totalement imaginaire, puisque la statue représentée n'existe pas sur l'île. Gauguin reconstitue un mythe à partir d'éléments décoratifs locaux: un tiki, dieu maori sculpté sur des ustensiles de ménage, une barrière copiée d'un motif d'aviron. 

1891-92  Planche: La orana Maria et Borobudur

Paysage luxuriant, paradis terrestre, renforcé par la nature morte du premier plan. Oeuvre dont l'artiste était très fier. Pourquoi ce thème chrétien? Hypothèses diverses non avérées. Les deux femmes sont empruntées à un relief de Borobudur dont Gauguin possède la photo. L'ange répond aux riches coloris des paréos par des ailes aux plumes jaunes, bleues et violettes. On a interprété la peinture comme une annonciation malgré l'enfant, comme une adoration des bergers malgré l'absence d'agneau. Dans la branche de palmier tenue par l'ange, on a vu le symbole traditionnel du martyre et de la mort (et de vie éternelle). Un fragment d'une autre branche de palmier entre dans le haut de la toile au-dessus de l'ange, détail dont le sens reste obscur.

1892 Planche:  Ta matete, Le marchŽ, et peinture murale thŽbaine

Une peinture de la XVIIIe dynastie thŽbaine du British museum dont il a la reproduction lui fournit le motif littŽral des cinq femmes, avec la convention bustes de face/corps de profil, ainsi que les personnages du fond.

1892 Planche: Puvis de Chavannes, L'espŽrance, et Te Aa no Areois (Le germe des Areois)

La jeune femme assise sur un parŽo bleu porte dans la main une sorte d'oignon de fleur, et a pris la position de L'espŽrance de Puvis, avec la raideur du buste en frontalitŽ Žgyptienne. Les couleurs sont partagŽes en grandes zones: jaune des palmiers, bleu de la montagne, rose des fleurs, sol et fruits en aplats jaunes et rouges.

1892 Planche: Te nave nave fenua (Terre dŽlicieuse) et Borobudur

Peinture provocante, avec son nu en pied qui expose ses poils pubiens. La gense en remonte ˆ 1889, annŽe o Gauguin se procure des photos des bas-reliefs de Borobudur. La premire idŽe en est une Eve tahitienne qui cueille des pommes sur les indications d'un serpent. Selon l'interprŽtation usuelle, le tableau transpose Eve dans un paysage tropical. En place de la pomme (inexistante ˆ Tahiti) et du serpent (de mme), Gauguin a inventŽ une fleur imaginaire et un lŽzard fabuleux. La plante en forme de plumes de paon aurait peut-tre ŽtŽ inspirŽe, ainsi que le lŽzard, par des gravures d'Odilon Redon. Le paon occupe une place relativement importante dans l'oeuvre du premier sŽjour tahitien (cf. ci-dessus), et certains ont rapprochŽ ces plumes des idŽes de vanitŽ, de sŽduction amoureuse, de vision et de savoir. Je noterai par ailleurs que le paon est une reprŽsentation frŽquente dans les images chrŽtiennes de la vierge. Les ailes rouges du lŽzard se refltent dans le chevelure, retenue par un ruban rose derrire l'oreille gauche, dŽtournŽe du monstre et semblant Žcouter, ˆ l'extŽrieur du tableau... Quoi?

Planche: 1892  Fatata te miti (Prs de la mer), 1894 Areareano varua ino (L'amusement du mauvais esprit

Fatata te miti est l'une des scènes de genre les plus simples et les plus exclusivement décoratives que Gauguin ait peintes durant son premier séjour en Polynésie. Elle illustre à merveille le mode de vie tahitien qui fascinait tant les occidentaux. Vers 1888-1889, l'artiste avait représenté une femme nue vue de dos au moment où elle se jette dans la mer. La baigneuse aux bras levés dans Fatata te miti en est une reprise. Gauguin a exécuté un pendant de format identique truffé de détails symboliques indéchiffrables, en total contraste avec le sujet tout simple de cette peinture de genre. Le pendant s'intitule Arearea no varua ino (LÕamusement du mauvais esprit) et reprŽsente peut-tre les mmes femmes, habillŽes, qui musardent sur une plage prs de quelque chose qui ressemble beaucoup au tronc dÕarbre couchŽ visible dans Fatata te miti. Le décor, que ce tronc d'arbre partage dans Fatata te miti en deux zones de couleur, semble avoir servi de modèle au paysage inquiétant qui sert d'arrière-plan au pendant. Dans les deux peintures, des tas de feuilles mortes échouées sur le sable introduisent des accents lumineux. Dans Fatata te miti, leurs formes dŽcoratives Žvoquent les motifs vŽgŽtaux vivement colorŽs des parŽos portŽs par les tahitiennes. Aucun dessin prŽparatoire pour Fatata te miti n'est parvenu jusqu'à nous. Les contours bleu foncé qui cernent toutes les formes indiquent que Gauguin a commencé par agencer une arabesque de lignes sur la toile, avant de colorer les surfaces ainsi délimitées. En décembre 1892, l'artiste expliquait qu'avec ce procédé il privilégiait l'harmonie générale ou l'accord musical dans son art, au détriment des moyens littéraires. Pour donner la plus grande luminosité possible aux couleurs, il les a recouvertes d'une couche de cire transparente.

1892 Manao Tupapau  L'esprit des morts veille

Olympia inversée, avec la servante remplacée par l'esprit des morts. Gauguin a longuement expliqué son dessein dans une lettre à sa fille Aline: "... Le titre Manao Tupapau a deux sens: ou elle pense au revenant, ou le revenant pense à elle. Récapitulons: partie musicale: lignes horizontales ondulantes; accords d'orangé et de bleu, reliés par des jaunes et des violets, leurs dérivés, éclairés par des étincelles verdâtres. Partie littéraire: l'esprit d'une vivante lié à l'esprit des morts. La nuit et le jour." Il y représente au premier plan sa compagne polynésienne Téha'amana nue et allongée. Elle est couchée à plat ventre, sur des draps blanc cassé recouvrant eux-mêmes un paréo bleu aux motifs floraux jaunes. Au second plan, un étrange personnage habillé de noir: le tupapau, de profil et qui semble entrer dans la chambre. Le peintre fait allusion à la croyance maori concernant les esprits mystérieux ou tupapau qui hantent l'obscuritŽ. Pour les faire partir, les Tahitiens ont gardŽ la coutume de toujours s'endormir avec une lampe allumŽe.

Entre le premier plan bien distinct et le second plan flou et ancrŽ dans l'imaginaire, Gauguin nous fait voir le point de rencontre entre deux mondes, qui ici, se confondent. Le double sens du titre  le confirme: on est dans un monde mais en mme temps dans un autre. Par ailleurs, la femme renvoie au symbole de fertilitŽ, de naissance. Le personnage du fond du tableau reprŽsente lui, la mort qui vient reprendre cette Eve. Gauguin transcrit une mŽtaphore du cycle de la vie. Il poursuivra cette idŽe dans D'o venons-nous? Qui sommes-nous? O allons-nous?

Planche:  Puvis, Jeunes filles au bord de la mer, 1892, Jeunes tahitiennes se baignant, 1893 Hina te fatu (la lune et la terre)

La sŽrie des femmes qui se baignent est du meilleur Gauguin. Les dos musclŽs o serpentent des chevelures noires mouillŽes sont son thme de prŽdilection. Ces tahitiennes aux Žpaules larges et hanches Žtroites, avec un peu d'asexuŽ qu'accentue la prŽsentation de dos, ont des gestes harmonieusement liŽs aux mouvements de la nature, s'accordant ˆ la poŽsie panthŽiste que recherche l'artiste. Une chaste impudeur, une puissance tranquille Žmanent de ces femmes qui se dirigent vers l'eau du large ou l'ombre des pandanus, peintes sans doute d'aprs nature.  Hina te fatu renvoie ˆ un texte de Gauguin, en partie plagiŽ, sur la religion polysŽnienne (Ancien culte mahori). Le dieu Fatu, associŽ ˆ la terre, Žtait mentionnŽ dans plusieurs lŽgendes anciennes. Le visage du dieu Fatu sera repris par Gauguin dans un masque de terre glaise qu'il intitulera "la tte de sauvage".

- 1892 juin: Il fait une demande de rapatriement auprès du directeur des Beaux-Arts à Paris. Sa demande est acceptée début novembre.

1892 Planche: Pape moe, Eau mystŽrieuse (avec photo modle)

Gauguin exŽcute cette peinture alors qu'il se prŽpare ˆ repartir. La composition est inspirŽe d'une photographie montrant un tahitien qui boit ˆ une source. L'eau "mystŽrieuse" jaillit d'une roche qui semble habitŽe, le tahitien (ou la tahitienne?) levant les yeux vers l'apparition d'une forme Žtrange (tte de poisson??). Gauguin voyait souvent dans les objets inanimŽs, comme les noeuds du bois, des formes irrŽelles.

 

1893-7895  RETOUR EN FRANCE

Aprs deux annŽes passŽes ˆ Tahiti, Gauguin dŽcide de rentrer en France pour faire conna”tre son travail. Ds son arrivŽe, le marchand Durand-Ruel organise une exposition de ses Ïuvres (Tahitiennes sur la plage, 1891; Quand te maries-tu?, 1892; l'Eau mystŽrieuse, 1893; la Lune et la Terre, 1893). MalgrŽ les efforts dŽployŽs par l'artiste pour expliquer ses tableaux, le public et la critique restent hermŽtiques ˆ ces scnes exotiques violemment colorŽes. Pendant son sŽjour en France, Gauguin partage son temps entre Paris et la Bretagne, continuant ˆ peindre des scnes tahitiennes et pratiquant la gravure et la sculpture. Heureux de renouer avec les milieux artistiques et littŽraires de la capitale, il tient salon dans son atelier de la rue VercingŽtorix, o s'accumulent ses Ïuvres et tout un bric-ˆ-brac exotique.

- 1893 mars: Expositions de ses oeuvres à Copenhague à la Frie Udstilling et à la Galerie
Kleis

4 juin: Il s'embarque pour la France où il arrive le 30 août.

Mi-octobre: Il commence la rédaction de Noa Noa pour expliquer ses tableaux tahitiens.

10-25 novembre: Exposition d'oeuvres récentes de Paul Gauguin à la Galerie Durand-Ruel où il présente 41 toiles de Tahiti, 3 de Bretagne et des sculptures sur bois.

- 1894 début janvier (?): II loue deux pièces, 6, rue Vercingétorix, où il vit avec Annah la Javanaise, originaire de Malaisie, rencontrée par l'intermédiaire de Vollard. II organise des réunions d'artistes le jeudi dans son atelier.

Février: Assiste à Bruxelles au vernissage de la première exposition de la Libre Esthétique.

Fin avril (?): II part en Bretagne avec Annah (Pont-Aven, Le Pouldu).

25 mai: Il a une jambe fracturée dans une bagarre avec des marins à Concarneau.

Décembre: Exposition de ses oeuvres dans son atelier à Paris.

1893-94 La femme enfant Judith n'est pas encore dŽpucelŽe (Aita tamari vahine Judith te parari)

Portrait de la mŽtisse Annah la javanaise qui fut la compagne de Gauguin de dŽcembre 93 ˆ l'automne 94. Chef d'oeuvre de la pŽriode parisienne: traitement pictural concis, palette vibrante, clartŽ de composition. Les dimensions du fauteuil accentuent la petitesse du modle (cf. le Portrait d'Emperaire de CŽzanne). DŽcor sobre et exotique: fond rose uni d'o surgissent les fruits et le ruban (cartouche du titre), plinthe ˆ accents d'exotisme.
NB- A la fin de l'ŽtŽ 94, Annah dŽvalise l'atelier parisien de Gauguin avant de dispara”tre de sa vie.

Planche: 1894, fŽvrier, Paris sous la neige, Caillebotte, Toits sous la neige

Sans doute hommage ˆ Caillebotte mort le 24 fŽvrier. Son tableau Vue de toits, effets de neige, a sans doute inspiré Gauguin, qui en retient le sujet, le format et le point de vue. Mais quand la toile de Caillebotte est une symphonie de gris, bleus, violets rougeâtres et bruns, celle de Gauguin use d'orangés, de jaunes et de verts. L'architecture structure l'oeuvre de Caillebotte, celle de Gauguin s'organise autour des rythmes de l'arbre. Il y ajoute une enseigne et un couple de personnages qui, dans un angle, évoquent la peinture japonaise.

1894, Paysannes bretonnes
sont une sorte de résumé, de condensé de ses styles antérieurs et des influences subies. Considérons la femme du premier plan : son profil est directement repris de la Vision après le sermon de 1898. Gauguin joue une nouvelle fois avec les arabesques de la coiffe, clin d'oeil par-delà l'expérience tahitienne à ses intentions décoratives d'alors. Avec ces deux femmes en conversation, avec les couleurs plates, et peut-être par le rideau d'arbres en forme de barrière, il renvoie aussi aux estampes japonaises La composition est simple, voire simpliste: deux personnages presque au centre, légèrement décalés sur la droite. Justement, ce décalage crée une forme d'insolite. Car, indifférentes, les deux femmes tournent résolument le dos à la scène, occupées par leur seule conversation. Mais quelle conversation ? Aucune des deux ne regarde l'autre, entre elles c'est plutôt le silence: comme souvent chez Gauguin, la vie se fige dans une solennité austère. Ce ne sont point des femmes mais des idoles, sauvages et  primitives comme lui-même. La teinte, elle, éclate et rayonne. Du séjour tahitien, il a acquis une couleur plus assurée, plus forte, qui explose dans le rouge incandescent de la jupe. Les harmonies secondaires, bleus violacés, verts, orangés, qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'atmosphère bretonne, affirment avec audace une réalité interprétée. Elles sont nettement séparées par des contours précis qui cernent les formes et les plaquent comme des papiers collés sur le fond de la toile: pas (ou peu) de clair-obscur décrivant des volumes dans un espace réel, mais des formes et des couleurs, simplement, une "abstraction tirée de la nature en rêvant devant". Abstraction qui, cependant, ne nie pas la profondeur. Les plans sont clairement échelonnés : sol orangé, rochers bleus, arbres vert sombre et herbe vert jaune, toits rouge et bleu, ciel crème. Même chose pour les personnages: groupe féminin, paysan au travail, et deux autres femmes assises dans le lointain. Mais cette profondeur ne fait appel à aucune perspective classique : les éléments se succèdent simplement dans le tableau et passent ainsi les uns devant les autres, dans un espace qui se comprend plus qu'il ne se voit.

1894, Jeune chrétienne ou Jeune bretonne priant

Oeuvre aux nombreuses références dans l'histoire de la peinture: flamands et allemands de la Renaissance, Madeleine du Triptyque Braque du Louvre. Gauguin ne tourne pas le dos à la peinture européenne et construit son primitivisme sur les sources renaissantes également. La jeune fille virginale aux yeux baissés est universelle: sa robe est une robe de mission tahitienne, le paysage breton, sa chevelure défaite renvoie aux images virginales de la chrétienté. Plastiquement, c'est la robe jaune qui frappe et rend l'image très différente des multiples bretonnes en noir et blanc.

- 1895 début janvier: II se rend à Copenhaguepour voir ses enfants.

18 février: La vente publique de ses oeuvres, organisée à l'hôtel Drouot pour financer son voyage de retour à Tahiti est un échec.

3 juillet: II s'embarque à Marseille pour Papeete où il arrive le 9 septembre.

Novembre: II s'installe à Punaauia, à quelques kilomètres de Papeete.

 

1896-1903  DERNIERES ANNEES: TAHITI ET HIVAOA

En Juillet 1895, Gauguin, incapable de se réadapter à la vie en France, désespéré de n'avoir pu toucher le public et les collectionneurs, malgré l'estime des artistes et des écrivains, de Degas à Mallarmé, repart pour Tahiti. Mais des soucis de santé et d'argent entament son énergie. Hospitalisé à plusieurs reprises, affecté par la mort de sa fille Aline, il doit accepter un emploi dans l'administration pour survivre, tandis que son Ïuvre s'oriente vers des préoccupations métaphysiques qu'il formulera en 1897 avec D'où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ?, chef-d'Ïuvre de sa maturité. La vie de l'homme, de la naissance à la mort, s'y déroule dans un jardin tropical dominé par la statue d'une déesse. Les épisodes de l'énigme se déroulent simultanément, en frise, comme sur les tableaux des peintres primitifs. Ces interrogations sur la destinée humaine se retrouveront dans Nevermore, 1897. Aucune réponse ne viendra apaiser les interrogations de l'artiste, et un profond sentiment de détresse perce désormais dans ses tableaux sous la luxuriance des couleurs. Les compositions se referment en un réseau serré de touches hachurées, créant un décor étouffant de serre tropicale. ƒpuisé par la maladie, solitaire et misérable, Gauguin, après un suicide manqué, quitte Tahiti pour s'installer à Atuona, une des ”les Marquises, sauvage et solitaire. Il y peindra les Cavaliers sur la plage, 1902. Pour sa Maison du Jouir, il réalise en bois sculpté polychrome un décor de déesses, d'animaux, de feuillages et de fruits, univers mythique où il meurt en 1903, à cinquante-sept ans, laissant une Ïuvre considérable, à peu près méconnue de son vivant.

 

- 1896 Sa nouvelle vahiné s'appelle Pahura (ou Tehura).

Décembre: naissance d'une fille, morte peu après.

- 1897 19 janvier: Mort de sa fille Aline, de pneumonie, à Copenhague.

Décembre: Il est victime d'une crise cardiaque.

30 décembre: Il tente de se suicider à l'arsenic.

- 1898 Il travaille comme dessinateur au bureau des Travaux publics de Papeete pour quelques francs par jour.

Mars-avril: Il s'installe pour des raisons de santé dans un faubourg de Papeete afin de se rapprocher de l'h™pital.

- 1899 19 avril: Pahura donne naissance à un fils, Emile.

Août: Gauguin crée un journal Le Sourire.

- 1900 début février: Il devient rédacteur en chef du journal Les Guêpes.

- 1901 10 septembre: Il quitte Tahiti pour les ”les Marquises où il débarque à Atuona le 16. Il construit la Maison du Jouir.

Novembre: Il s'installe avec sa nouvelle vahiné, Vaeho Marie-Rose.

- 1902 avril: Il refuse de payer ses imp™ts et incite la population à faire la même chose.

14 septembre: Vaeho donne naissance à une fille Tahiatikaomata.

- 1903 février-mars: Il prend la défense de plusieurs indigènes accusés d'ivrognerie. Il est accusé de diffamation à l'encontre du gouverneur et est condamné à trois mois de prison et cinq cents francs d'amende. Il fait appel.

Avril: A la suite d'un nouveau procès, à Papeete, il est condamné à un mois de prison et cinq cents francs d'amende.

8 mai: Il meurt probablement victime d'une crise cardiaque après avoir pris une forte dose de morphine. Il est enterré le lendemain au cimetière catholique d'Atuona.

Planche: 1891, Le grand arbre, 1896, Pourquoi es-tu f‰chée (No te aha oe riri?)

Pourquoi es-tu fâchée trouve sa source dans Le grand arbre de 1891. Même disposition d'ensemble. Modifications: le grand manguier et l'arbre à pain sont remplacés par un palmier qui marque le centre du tableau, la proportion des figures qui prennent le pas sur le paysage et justifient le titre. Ce qui incite à lire l'oeuvre comme un récit: qui est fâché? Deux poules et leurs couvées mi blancs mi noirs donnent une indication: Gauguin est amateur de fables et de paraboles. La scène que jouent les poussins oppose indépendance et éducation. A droite, un coq et deux poules sans poussins, au soleil, renvoient aux 2 femmes du fond, dont l'une s'appuie sur une canne. Les poules à l'ombre sont en parallèle avec les femmes de gauche assises à l'ombre. La femme en colère pourrait être l'une d'elles, mère, et jalouse de la jeune fille sans contraintes qui promène sa tranquille élégance.

1896  Nave nave mahana (Jour délicieux)

Sept tahitiennes et un enfant près d'un ruisseau, frise assez conventionnelle, sur fond rouge,  de femmes figées entre des arbres grêles. Gauguin capte le jeu rythmique des figures et les courbes des troncs et des branches. Toutes les grandes compositions en frise de cette époque sont conformes au goût parisien du temps. Après le Bois sacré de Puvis de Chavannes naissent à la fin du siècle de nouveaux paradis païens, images 1900 d'un âge d'or méditerranéen ou intemporel, résurrection des thèmes paradisiaques classiques récupérés par un humanisme païen qui se cherche.

1896  Planche: Bé Bé, & Te Tamari No Atua, La nativité 

En 1896, il épouse à la mode du pays la petite Pahura, alors ‰gée de 14 ans, C'est elle, sans doute, la jeune mère figurant la Vierge, et l'enfant de Gauguin, le bébé que tient une femme maorie. N'étaient les nimbes et les animaux évangéliques aperçus dans la pénombre du fond de la pièce, le sujet serait une simple scène de genre exotique, une jeune mère endormie après la naissance de son enfant. L'arrière-plan christique, secondaire, est une pastiche de deux autres tableaux: Bé Bé, peint la même année, pour la partie gauche, la droite étant empruntée à Tassaert (L'intérieur d'une étable, 1837).

1896 Eiaha ohipa (ne travaille pas)

1896 Planche: Te vaa  La pirogue, Pauvre pêcheur, Puvis de Chavannes, Pauvre pêcheur

1896  Te arii vahine (La femme du roi)

"Je viens de faire une toile que je crois encore meilleure que tout auparavant: une reine nue couchée sur un tapis vert, une servante cueille des fruits, deux vieillards, près du gros arbre, discutent sur l'arbre de la science; fond de rivage... Je crois qu'en couleur je n'ai jamais fait une chose d'une aussi grande sonorité grave. Les arbres sont en fleurs, le chien garde, les deux colombes à droite roucoulent." (à Daniel de Monfreid). La pose évoque l'Olympia de Manet, que Gauguin avait copiée. Les références ne manquent d'ailleurs pas: Diane au repos de Cranach, L'espérance de Puvis, un moine couché du bas-relief de Borobudur. C'est en tout cas le premier grand nu indigène couché, et Gauguin en donne une version classicisée et occidentalisée. Les sombres harmonies chromatiques donnent une dimension mystérieuse et intemporelle, la tête, droite, comme celle de l'Olympia, indique qu'elle est séductrice et non séduite. La présence du chien noir et des vieillards (noter la relation, peut-être fortuite, avec la Suzanne biblique) créent une distance entre elle et le spectateur. Gauguin réunit Diane et Eve en une reine indigène, classique et biblique. Noter la présence très prégnante, de par la taille et la couleur, des mangues et de l'éventail, ce dernier étant symbole aristocratique.

1897   Nevermore

Version plus décorative de L'esprit des morts veille (1892). "Je tâche de finir une toile... Je crois que c'est une bonne chose . J'ai voulu avec un simple nu suggérer un certain luxe barbare d'autrefois. Le tout est noyé dans des couleurs volontairement sombres et tristes: ce n'est ni la soie, ni le velours, ni la batiste, ni l'or qui forme ce luxe mais purement la matière devenue riche par la main de l'artiste. Pas de foutimaise... l'imagination de l'homme seule a enrichi de sa fantaisie l'habitation. Pour titre, Nevermore, non point le corbeau d'Edgar Poe mais l'oiseau du diable aux aguets." (à Monfreid) La référence à Poe n'est pas innocente, dans la mesure où le tableau est l'antithèse du poème (très connu des avant-gardes): le corbeau, qui chez Poe est si important qu'il l'empêche d'adorer son idéal féminin, est ici amenuisé et laisse l'espace entier à la femme. Le poème fait référence à des velours et soies somptueux, il se passe dans une nuit sans fin, ici pas de riches tissus et ensoleillement tropical. Gauguin alors mène une réflexion sur les rapports entre poésie et peinture. Noter les variations de teintes sur la chair et la richesse du décor.

1897  Te rerioa, Le rêve

Intérieur tahitien décoré d'une frise sans aucun rapport avec Tahiti ni avec les oeuvres antérieures. Un bébé dort dans un berceau sculpté, deux femmes, une porte ouverte sur un paysage avec cavalier.Le groupe des deux femmes rappelle les figures centrales des Femmes d'Alger de Delacroix, Delacroix que Gauguin a beaucoup regardé, et dont il a aussi pris le journal de voyage comme modèle pour Noa Noa. Comme Nevermore, la toile témoigne de l'intérêt du peintre pour le décor intérieur. Décor étrange ici et difficile à interpréter, de même que le paysage: porte ouverte ou tableau?

1897 D'où venons-nous? Que sommes nous? Où allons-nous?

D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? est la plus grande toile que Gauguin a peinte. Elle mesure, dans l'état connu, 3,75 mètres de longueur et fut conçue par lui comme un véritable manifeste personnel, philosophique et pictural. Envoyée de Tahiti, elle fut exposée à la galerie Vollard à Paris du 17 novembre au 18 décembre 1898, avec huit autres tableaux de l'artiste. Ce fut ainsi pour Gauguin l'occasion de rivaliser avec les grands peintres décorateurs qu'il admirait, notamment Puvis de Chavannes.

Détaché de sa famille, ayant perdu sa fille préférée Aline, réduit à l'ultime désespoir, malade, misérable, vivant dans l'angoisse de ne pas recevoir (ou si peu) d'argent des tableaux qu'il envoie en France, Gauguin, décidé au suicide, entreprend une grande toile qu'il avait en tête, une dernière Ïuvre monumentale, son testament spirituel. Durant tout le mois de décembre il travaille jour et nuit "dans une fièvre inouïe". "J'y ai mis là avant de mourir toute mon énergie, une telle passion douloureuse dans des circonstances terribles et une vision tellement nette, sans corrections, que le hâtif disparaît et que la vie en surgit". " Tout se passe au bord d'un ruisseau sous-bois. Dans le fond, la mer puis les montagnes de l'île voisine. A droite et en bas un bébé endormi puis trois femmes accroupies. Deux figures habillées de pourpre se confient leurs réflexions. Une figure énorme volontairement et malgré la perspective, accroupie, lève le bras en l'air et regarde étonnée ces deux personnages qui osent penser à leur destinée. Une figure au milieu cueille un fruit. Deux chats près d'un enfant, une chèvre blanche. L'idole, les deux bras levés mystérieusement et avec rythme, semble indiquer l'au-delà. Une figure accroupie semble écouter l'idole; puis une vieille près de la mort semble accepter, se résigner à ce qu'elle pense et termine la légende; à ses pieds un étrange oiseau blanc tenant en sa patte un lézard représente l'inutilité des vaines paroles". Le hiératisme des figures, la simplicité affirmée des formes et des couleurs franches sont une des composantes du primitivisme de Gauguin.  Mais l'artiste assume aussi l'héritage de la peinture occidentale, dans le rythme de la composition, dans le choix de la tonalité générale (un bleu-vert Véronèse), et finalement dans l'idée même d'une allégorie de la vie par le biais de figures placées dans un paysage idéal.

Gauguin indiqua que le tableau devait être lu de droite à gauche, avec les trois principaux groupes de personnes illustrant les questions posées dans le titre. Les trois femmes avec un enfant représentent le début de la vie (d'où venons-nous?), le groupe du milieu symbolise l'existence quotidienne des jeunes adultes (Que sommes-nous?), et le dernier groupe, la vieillesse et la mort. (Où allons-nous?)

1897 Planche:  D'où venons-nous? Que sommes nous? Où allons-nous? Et calque préparatoire

NB- Bien que Gauguin affirme que "ce n'est pas là une toile faite comme un Puvis de Chavannes, études d'après nature, puis carton préparatoire, etc. Tout cela est fait de chic, du bout de la brosse", il s'agit au contraire d'une synthèse d'éléments antérieurs, et un dessin sur calque avec mise au carreau ne peut être qu'une étude préparatoire.

Planche: Puvis de Chavannes, Le bois sacré, hémicycle de la Sorbonne, Doux pays, Le bois sacré cher aux arts et aux muses (musée de Lyon)

"Dans la clairière d'un bois sacré, au centre, sur un bloc de marbre, est, assise une figure symbolique de la Sorbonne. A ses c™tés, deux Génies porteurs de palmes et de couronnes, hommage aux vivants et aux morts glorieux. Debout, l'Eloquence célébrant les conquêtes de l'esprit humain. Autour d'elle, les figures diverses de la Poésie. Du rocher où le groupe est assemblé, s'écoule la source vivifiante; la Jeunesse s'y abreuve avidement, la Vieillesse aux mains tremblantes y fait remplir sa coupe. A gauche, la Philosophie et l'Histoire: la Philosophie représentée par la lutte du Spiritualisme et du Matérialisme en face de la Mort: l'un confessant sa foi dans un élan d'ardente inspiration, l'autre démontrant sa pensée par l'étude de la fleur, image des transformations successives de la matière: l'Histoire interrogeant les antiques débris du passé exhumé sous ses yeux. A droite la Science, la Mer et la Terre qui lui offrent leurs richesses : la Botanique avec sa gerbe de plantes; la Géologie appuyée sur un fossile; les deux Génies de la Physiologie tenant l'un un flacon, l'autre un scalpel; la Physique entrouvrant ses voiles devant un essaim de jeunes gens qui se vouent a son culte en lui offrant comme prémices de leurs travaux la flamme de l'électricité; à l'ombre d'un bosquet, la Géométrie, figurée par un groupe absorbé dans la recherche d'un problème."

Planche: D'où venons-nous, reprises: Eve Bretonne II, Vairumati 1897, L'homme à la hache 1891, Te pape nave nave 1897, 1896 Eiahe Ohipa

Beaucoup d'éléments ou de motifs appartiennent à d'autres Ïuvres qu'il a peint quelques années auparavant. Par exemple Eve Bretonne en 1889, qui est devenue la vieillarde de gauche, l'enfant au centre mangeant un fruit, déjà peint l'année précédente dans Jours Délicieux, même le chaton qui lèche, dans la même position, avec la même écuelle que dans un petit tableau, et un éventail de 1888. La figure centrale est une version allégorique du nu d'homme aux bras levé, L'homme à la hache, peint aux cours des premiers mois tahitien de Gauguin  en 1891.

1897  Te pape nave nave (L'eau délicieuse)

Signé et daté 1898, ce qui conduit à y voir une réplique fragmentaire de D'où venons-nous? L'innovation la plus importante est le remplacement du cueilleur de fruits par un nu féminin. Les quatre baigneuses du premier plan, séparées du reste par le ruisseau, semblent appartenir à un monde bien particulier.

1898, Faa Ihele (Pastorale tahitienne)

Long panneau peint quelques mois après D'où venons-nous? Presque caricatural par sa préciosité, de la vision édénique de Tahiti. Autour d'une idole rousse qui reprend encore la déesse javanaise de Borobudur, un chien noir copié de Courbet et de gracieuses lianes, sur fond de feu et d'or, ensemble qui fait de ce tableau l'un des plus jolis (et le plus maniéré) de Gauguin.

1899 Rupe rupe (Luxuriant)

Des personnages évoluent avec assurance dans un univers de couleurs vibrantes, dans des espaces qu'arbres et arbustes contribuent à définir. Ce tableau, le plus grand de la série, fut acheté par Chtchoukine. NB- A droite même cavalier que dans Le cheval blanc.

1899  Trois tahitiennes sur fond jaune

1899  Te tiai na oe ite rata (Etes-vous en train d'attendre une lettre?)

L'iconographie récapitule beaucoup d'images antérieures: le personnage central appara”t à gauche dans la Pastorale tahitienne, et provient à l'origine d'une porteuse d'offrandes de Borobudur. Les entrelacs des branches renvoient au Cheval blanc et à L'idole, l'oie et ses oisillons viennent tout droit de Pont Aven, le bateau est emprunté à un tableau de Jongkind, etc. Le sens en est lié à un épisode de la vie de Gauguin, qui, désargenté, attend avec impatience chaque rare bateau apportant le courrier

Planche: 1899, Deux tahitiennes et Borobudur

Personne n'a encore donné une analyse approfondie de la signification de la toile dans l"oeuvre de Gauguin, ni une interprétation convaincante de la substance orangée sur le plateau tahitien en bois que porte la figure principale.

Comme beaucoup d'autres figures des tableaux de Gauguin de 1898 et 1899, les deux femmes semblent faire des offrandes de fruits ou de fleurs. Dans la plupart des autres tableaux de telles offrandes sont destinées à une autre figure ou à une idole située à l'intérieur même de l'oeuvre. Ici, les femmes se tournent franchement vers le spectateur. La pose, en apparence observée d'après nature, a ses racines dans la frise bouddhique de Borobudur. Les deux figures sont les mêmes que dans Rupe Rupe. Dans les deux toiles les vêtements des figures semblent avoir des sources non tahitiennes. Pour les plis, les couleurs et le drapé, on peut faire des parallèles avec l'art classique ou médiéval ainsi qu'avec les célèbres frises narratives de Borobudur.

Que peut-on dire de l'offrande? Gauguin a évité la comparaison traditionnelle dans l'art occidental entre le sein et la pomme. Il aurait pu facilement utiliser la pomme polynésienne, la mangue, mais il choisit au contraire de peindre une substance qu'aucun spectateur occidental n'a pu identifier avec certitude. Peut-on avancer qu'il voulait simplement représenter un superbe nu en train de faire une offrande qui n'est ni un fruit ni une fleur mais a les qualités des deux? L'offrande est-elle simplement couleur? Le pas est aisé à franchir dans l'interprétation de l'oeuvre d'un artiste qui, un an auparavant, avait écrit un essai non publié sur les valeurs émotionnelles et musicales de la couleur. De ce point de vue, Gauguin choisit de représenter deux nus émergeant de l'ombre d'un bosquet dans la lumière du soleil. Leurs visages restent dans l'ombre tandis que l'offrande de la figure centrale est illuminée par le soleil. La chaleur et la générosité de la terre seraient alors les sujets.

1901 Planche: Natures mortes aux Tournesols

Allusion, bien entendu, à Van Gogh, et sans doute aussi, de par l'oeil peint au centre d'une fleur, à Odilon Redon. La série de Natures mortes qu'il peint alors sont toutes un hommage plus ou moins conscient aux peintres qu'il a aimés en Europe.

1901 Nature morte à l'Espérance

Au fond, deux reproductions des tableaux que Gauguin avait accrochés dans sa case, L'espérance de Puvis de Chavannes, qu'il admirait beaucoup et qui avait inspiré le Germe des Areois de 1892, et un tableau de Degas, à ce qu'il semble.

1902, Planche: Marquisien à la cape rouge, Famille tahitienne ou Les baigneurs

Les deux tableaux peuvent être considérés comme une paire (même taille, même échelle, postures identiques). Les baigneurs pourraient représenter le corps humain dans ses activités quotidiennes, par opposition au monde mystérieux de l'homme costumé, dans lequel on a reconnu Haapuani, célèbre figure d'Hivaoa, ami de Gauguin, et prêtre indigène avant l'arrivée des missionnaires. Gauguin exécute en 1902 une série de représentations d'hommes à cheveux longs à l'aspect presque androgyne, un type d'homme efféminé (mahu) courant dans la société polynésienne.

1902, Contes barbares

L'homme est Meyer de Haan, souvent représenté par Gauguin, peintre hollandais fortuné qui avait travaillé avec Gauguin en Bretagne. L'artiste le transforme en faune aux pieds griffus, comparé à un chat, un renard, au symbole du monde occidental, mais dont le sens n'a pas été élucidé. Pourtant, la figure en est essentielle, qui domine de son étrangeté les deux femmes, elles aussi mystérieuses. Leurs poses empruntées au bouddhisme évoqueraient l'Orient, de Haan l'occident, la rousse Tohotaua, dont le mari Haapuani passait pour sorcier, introduirait le surnaturel polynésien. Le mot conte s'entend au sens populaire de littérature orale, et Gauguin, très rigoureux en matière de forme littéraire, l'a sûrement choisi à dessein pour sa charge folklorique.

Planche: 1898, le cheval blanc, 1902, Cavaliers sur la plage, Phidias et le Parthénon

Le cheval blanc ne restitue pas une scène réelle, mais une vision imaginaire et synthétique d'un paysage tahitien. Les branches aux torsions compliquées d'un arbre indigène appelé bourao, sorte d'hibiscus, ainsi que des lys et des fleurs imaginaires au premier plan composent un cadre décoratif entourant le motif principal. Le ciel et l'horizon sont absents de ce lieu clos.

Un cheval blanc (modèle tiré de la frise du Parthénon), dont la robe se teinte du vert de la végétation, a donné son titre au tableau. Il boit, campé au milieu d'un ruisseau qui traverse la composition de haut en bas. Cet animal solitaire a probablement un sens symbolique lié aux croyances des Tahitiens sur le passage des ‰mes dans l'autre monde. La couleur blanche en Polynésie est liée à la mort et au culte des Dieux. Derrière l'animal sacré, deux cavaliers nus s'éloignent en chevauchant à cru leurs montures. L'échelonnement de ces trois motifs animés dans le paysage accentuent la vision verticale et sans profondeur de la scène. Pour accentuer son caractère décoratif, Gauguin a utilisé une palette somptueuse. Les verts, du vert prairie à l'émeraude, et les bleus profonds contrastent avec des orangés, des roses et les teintes cuivrées de la peau des cavaliers.

Une impression de sérénité paradisiaque émane de cette composition devenue une véritable icône. Le commanditaire de la toile, un pharmacien de Tahiti, n'a pas apprécié l'audace chromatique du peintre. Il a refusé la toile sous prétexte que le cheval était trop vert.

1902, Cavaliers au bord de la mer (musée d'Essen)

Dans la série des Cavaliers, dont l'origine est à chercher dans les champs de course de Degas, Gauguin s'écarte avec insistance de la réalité d'Hivaoa pour imaginer un bord de mer indéfini et intemporel. Les chevaux s'inspirent de la frise du Parthénon. Dans la version présente, les cavaliers de dos sortent de la scène comme symboliquement prêts à être absorbés par la vague.

1902, Femme à l'éventail

Les tons passent de la nuance moutarde du fond teinté de vert sur la droite aux dégradés d'orangé de la carnation de la jeune femme, à la touche de gris-violet du mamelon, au rose et à l'orangé des lèvres, au flamboiement orangé de la chevelure ponctuée d'éclats pourpres et verts. Le brun noisette des prunelles ressort sur le beige laiteux de l'oeil. Même le bois du fauteuil sur lequel la femme est juchée semble vibrer. La symphonie des tons du bois et des chairs forme un contraste délibéré avec le blanc du vêtement du modèle et l'éventail en plumes blanches. Le vêtement est d'une si parfaite simplicité que le spectateur verrait dans cette noble sauvageonne l'image de la plus virginale pureté, n'était le message de puissance et de mort imparti au blanc dans la culture marquisienne.

Gauguin s'inspira pour peindre ce tableau d'une photographie. Le modèle, Tohotaua, que l'on reconnaît dans les Contes Barbares, avait une chevelure rousse qui faisait sensation dans ses visites à l'île d'Hivaoa. Le tableau s'écarte sensiblement de la photographie, n'en conservant que la pose et les traits de Tohotua. Sans doute Gauguin avait-il moins besoin de la photographie pour composer le tableau que pour se remémorer le modèle, qui habitait une île distante. Sur la photographie Tohotua est habillée du paréo traditionnel noué autour du cou pour voiler la poitrine. Le tableau la montre dans un costume différent, inventé par Gauguin, ou peint d'après nature avant que le tableau ne soit terminé avec l'aide de la photographie. Les changements apportés à la chevelure et aux yeux du modèle sont encore plus significatifs et révélateurs; au lieu du flot ondoyant cascadant dans le dos du modèle sur la photographie, Gauguin peint une chevelure assagie, dont toute la luxuriance s'est réfugiée dans la couleur. De même l'expression du modèle, au regard noyé, rend le tableau infiniment plus mystérieux que la photographie, où il fixe directement l'objectif.

Grâce à cette photographie, on peut aussi déduire que le siège a été inventé de toutes pièces car il n'y figure pas. L'éventail en plumes blanches que tient Tohotaua est sans précédent dans l'oeuvre de Gauguin. Il n'apparaît dans aucun des tableaux peints à Tahiti ou aux îles Marquises; en revanche dans Les ancêtres de Tehamana, souvent comparé au présent tableau, la jeune fille tient un éventail tressé semblable – et ce sont là les deux seuls exemples – à celui qu'affiche la femme de haute naissance dans les deux variantes de Te arii vahine. En Polynésie, l'éventail marquait l'appartenance à l'aristocratie.